Henry Corbin a écrit qu’« un Maître Eckhart et un Jacob Boehme
eussent parfaitement compris Ibn ʿArabî, et
réciproquement.1 » Mais comment assurer ce dialogue et
cette compréhension réciproque pressentie par Henry Corbin? Cette recherche
porte essentiellement sur les conditions de possibilités de ce dialogue, puisque
la comparaison entre Ibn al-ʿArabī et Böhme n’est encore qu’à ses balbutiements.
En choisissant le prisme de l’imagination, le but est double :
pouvoir traiter de manière non réductrice les phénomènes spirituels en
parcourant et analysant la logique spécifique de l’imagination ; et, sous
l’égide de la hiérohistoire, explorer le rôle de l’imagination dans
la métaphysique et l’éthique d’Ibn al-ʿArabī et de Böhme. Il s’agit donc d’essayer de lire Ibn
al-ʿArabī et Böhme
comme ils lisaient eux-mêmes le Livre révélé de leur tradition respective.
Au final, il appert que le théophanisme caractéristique tant de la
métaphysique d’Ibn al- ʿArabī
que de celle de Böhme est une riche terre d’accueil de l’imagination
et de l’imaginal. Et que, si la comparaison strictu sensu entre Ibn al-ʿArabī et Böhme est
impossible, l’esprit comparatif et transdisciplinaire de cette recherche, ainsi
que la méthode phénoménologico-herméneutique, offrent de nouvelles avenues de
réappropriation pour l’ensemble des phénomènes spirituels.
PRÉLUDE
Pro captu lectoris habent sua fata libelli. D’emblée, le lecteur
consciencieux nourrit probablement une certaine suspicion par rapport à ce
qu’annonce le titre de cette recherche. Le lecteur se demandera peut-être
comment l’auteur considérera sérieusement deux auteurs aussi éloignés, et
comment traitera-t-il concrètement de l’imagination dans un phénomène aussi
mouvant que l’expérience spirituelle? Nous mettons en garde le lecteur
voulant entreprendre cette quête avec nous du fait qu’il devra s’impliquer
lui-même dans cette traversée et nous suggérons à celui qui ne veut
qu’objectivement ou historiquement s’informer sur le sujet d’arrêter sa lecture
dès à présent, car l’objectivité n’est pas le but visé de notre recherche. Cette
recherche est sous le signe de deux distiques de l’Errant chérubinique qui
s’énoncent comme suit : « L’âme est un cristal, la Déité est sa clarté; Le corps
en lequel tu vis est leur enveloppe à tous les deux. » Et
la conséquence métaphysique est que « Dieu ne vit pas sans moi. Je sais que Dieu
sans moi ne peut vivre un moment ; Si je m’abîme, Il rend l’esprit de
dénuement.»
Nous prendrons à rebours les approches usuellement utilisées. Nous
proposons une « remontée vers l’origine » qui, lorsqu’elle s’achèvera, s’avérera
être le point que nous avions laissé en faisant le premier pas. Sans entrer dans
une logique circulaire, dans une logique fermée sur elle-même, dans un
subjectivisme, nous prendrons autant en considération les données sensibles,
qu’expérientielles de nos deux auteurs. Nous ordonnerons en constellation de
symboles leurs pensées laissées sur le papier. Ce qui nous intéresse avant tout,
c’est d’organiser et de rapprocher des matériaux pour qu’une autre lecture en
soit possible. Une lecture qui exhausse la portée de ce qu’énoncent
nos mystiques et qui puisse peut-être valider l’existence d’un ésotérisme
abrahamique. Par l’intériorisation de nos auteurs, nous procédons à un travail
similaire à celui qu’ils ont opéré à propos de leur livre révélé; c’est en ce
sens que notre travail n’est pas objectif et que nous ne prouverons rien.
Tout au long de ce texte, de nombreux voyages seront mentionnés.
La plupart ne relèvent pas du calendrier de l’histoire; ce sont des événements
de l’âme, des événements dont les témoins et les témoignages ne peuvent être
accrédités dans une cour de justice, mais dont la vérité et l’action s’expriment
dans le vécu de l’âme, dans la vie de l’esprit, dans la spiritualité, une
existence, dont la permanence transcende l’historicité, et ce faisant, fait
apparaître une histoire real6 signalée par le terme de
hiérohistoire.
Accompagné par l’ange de Henry Corbin, nous pensons que la vie
spirituelle n’est pas dans l’humain, que c’est l’humain qui est en elle et c’est pour cela que nous nous permettons d’être une matrice
s’imprégnant de son sujet. Ce travail s’annonce ainsi sous le signe d’une «herméneutique spirituelle» parce que la compréhension présentée de nos deux
théosophes est elle-même corollaire de notre capacité d’accueil. Notre maîtrise
a été envisagée comme une co-naissance, car elle n’est pas de son temps, mais «
son temps propre », en cherchant à actualiser le savoir humain. La progression
du savoir n’émane pas d’une création ex nihilo. La progression du savoir
consiste à intégrer ou intérioriser la complexité des relations entre l’humain
et sa réalité. En ce sens, nous ne clarifierons rien d’autre que notre propre
intériorisation.
E para ler fragmentos de Ibn Arabî, em inglês, seguir este link: http://philosophiaperennisetuniversalis.blogspot.pt/2012/10/journey-to-lord-of-power.html#more
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